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Journal désenchanté
23 octobre 2006

"Lunar Park" de Bret Easton Ellis

Voici un livre que je viens de finir, pas tout récent (mais pas trop vieux non plus) car, étant un inconditionnel d’Ellis, je ne pouvais décemment pas le manquer. J’attendais en fait qu’il sorte en poche (car je n’achète que des livres de poche, c’est moins cher et plus pratique) mais comme il tardait à sortir dans ce format en France, je me suis rabattu sur l’édition anglophone (l’avantage, c’est qu’on évite les traductions calamiteuses).

Lunar_Park

On ne présente plus Bret Easton Ellis, célèbre (et parfois controversé) écrivain américain dont les œuvres (Moins que zéro, Les Lois de l’attraction, American Psycho, Zombies et Glamorama) se situaient toutes dans la même veine : des récits à la première personne, narrant le quotidien superficiel et désespérément vide de gens friqués aux Etats-Unis. Malgré l’absence de structure des récits, de trame narrative, d’événements marquants ou d’emphase dabs le style, il se dégageait souvent de ces histoires une vraie force : une ambiance de mélancolie latente, de souffrance indicible, d’absurdité d’une existence privée de sens qui, tel un miroir, nous renvoyait implacablement à nos propres vies.

Lunar Park marque une rupture par rapport à ses précédents ouvrages. C’est toujours de la narration à la première personne, sauf qu’ici, le narrateur s’appelle… Bret Easton Ellis, et est écrivain. Un personnage qui pourrait bien ressembler au vrai Ellis : après avoir connu un succès sans précédent à vingt ans avec son premier roman Moins que zéro, qui lui a apporté célébrité et richesse, il a plongé, tels les héros de ses histoires, dans une relative déchéance : vie facile, drogue, etc. Voilà pour les premiers chapitres, en guise d’introduction. Ensuite, il s’est à peu près casé : il habite alors avec son fils, sa femme et la fille de celle-ci dans une banlieue chic américaine, donne vaguement des cours à la fac et recommence plus ou moins à se droguer. Le narrateur prévient alors que tout ce qui sera raconté dans le roman est vrai ; on voudrait presque le croire, si ce n’est que l’histoire en question parle d’une maison hantée, d’enfants disparus et de crimes inspirés d’American Psycho…   

Pour la première fois, on a l’impression qu’aux descriptions (brillantes) des premiers chapitres vont succéder une histoire construite. C’est alors que le livre bascule progressivement dans le fantastique (on ne sait jamais si les événements qui se déroulent dans la maison sont réels ou si ce sont des hallucinations dues à la drogue), de manière cependant un peu décevante : on a l’impression de lire du mauvais Stephen King, avec des effets grotesques. Ces thèmes de la maison hantée et du tueur peuvent effectivement apparaître comme la solution de facilité d’un auteur qui ne saurait plus quoi dire. Mais Ellis va plus loin, et tout cela n’est au fond qu’un stratagème. Comme on pouvait déjà s’en douter avec le narrateur, (qui n’est qu’un double de l’écrivain), on est en plein dans la mise en abyme et dans une réflexion sur l’écriture : jeu entre le vrai et le faux, intervention d’éléments réels dans la fiction (et inversement), allusions aux œuvres antérieures.... Le narrateur (et l’auteur) doute, comme si Ellis avait mis en mots ses problèmes et ses idées sur le sens de la création. A certains moments, la dichotomie entre le narrateur et l’auteur se fait explicitement : « L’écrivain me dit de faire cela » raconte Ellis. On peut penser au même genre d’effet de style que l’on trouvait dans Glamorama, quand les éléments de la réalité ne semblaient provenir que d’une mise en scène de cinéma.

Lunar Park peut aussi se voir comme une réflexion de la paternité : de la relation conflictuelle qu’avait le narrateur avec son père décédé (qui provoquerait les événements surnaturels dans la maison) à celle, tout aussi difficile et hasardeuse qu’il entretient avec son propre fils.

C’est aussi la première fois chez Ellis que l’ont ressent une vraie empathie pour un personnage, en l’occurrence le narrateur. Car, loin du cynisme auquel on aurait on aurait pu s’attendre, celui-ci se met à nue avec sincérité : il souffre, il hésite, il a peur, il se cherche, comme s’il voulait parvenir à réaliser quelque chose sans savoir comment faire.

Loin de fournir une réponse définitive, la fin n’est qu’une ouverture : rien n’est vraiment résolu, mais on sent un mélange de tristesse et de contentement, d’échec et de foi en l’avenir. Réalité, fiction, haine, réconciliation, doute… Les thèmes qui traversent le livre sous une forme explicite, hallucinatoire ou imagée se combinent finalement en un tout cohérent, profond, qui donne autant matière à réfléchir qu’il provoque une vraie émotion.

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Commentaires
P
fan de american psycho, j'ai enfin pu lire Lunar Park, tellement apprécié par la critique littéraire (ça change).<br /> Tout ce que tu en dis est juste, mais l'impression qui en ressort est plus "artificiel" que "fantastique". L'attaque du Terby, le gosse bizzaroïde ou la vidéo sur l'ordinateur...<br /> Je n'ai pas retrouvé l'un de mes auteurs préférés, donc j'ai été déçu! Mais si certains s'y retrouvent, comme toi, je ne peux qu'applaudir ^^
J
moi j'ai bien aimé Lunar Park, mais le coup de la peluche qui attaque... un peu ridicule oui
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