Eternel recommencement… ? (Bis repetita placent)
Plus ça change, plus c'est pareil (ou réciproquement).
J'ai relu, il y a quelques mois, de nombreux messages de ce blog, que j'ai créé il y a dix ans de cela maintenant (comme le temps passe vite). J'en ai beaucoup aimé la forme et le fond, le ton que cela dégageait, en particulier le mélange de spleen et d'ironie désabusée qui imprégnait de nombreux messages, en fil conducteur. Si je cite cela, c'est parce que, au tout début du blog, je me souviens les avoir détestés ; je trouvais que tout cela était si mauvais que j'avais fait un important dégraissage, supprimant plusieurs passages (voire des messages entiers) dont je ne me souviens plus la teneur exacte.
Le fait que je les apprécie davantage aujourd'hui est peut-être le signe d'un léger mieux, même si tout n'est pas résolu. Des années ont passé et j'ai été frappé de constater que, quelle que soit la tournure que puissent avoir pris les événements (ou devrais-je plutôt dire les non événements) de ma vie, les sensations par lesquelles je suis passés, il n'en demeure pas moins que c'est toujours la même toile de fond qui sous-tend qui colore l'intégralité des messages, tel un prisme à travers lequel je vois le monde.
Revient souvent, de manière lancinante (je l'ai encore une fois répété dans mon dernier message) l'idée que je veux écrire et que je n'y arrive pas vraiment, que je me promets de mettre ce blog à jour et que je le repousse aux calendes grecques, comme si l'envie était sans cesse retenue par une sorte de paresse, d'absence de volonté qui semblait se résumer en ces mots : « à quoi bon ? ».
Même le titre de ce billet « éternel recommencement », est celui d'un autre que j'avais déjà publié il y a plusieurs années. Je ne m'en souvenais pas, et c'est seulement après avoir commencé à écrire ce nouveau message que je m'en suis rendu compte. La structure de la pensée ne change pas. Seul le point d'interrogation qui suit ce nouveau titre marque une différence, comme pour montrer qu'un léger changement est tout de même là — là sans être là — dans les interstices : modification microscopique, trace légère, promesse à concrétiser…
Revenait aussi, sans cesse, cette bizarre sensation d'inadaptation, d'impossibilité d'interagir avec le monde qui m'entourait, cette impression d'être là sans être là, pas à ma place, tel un zombie. Dans le cadre des études, j'avais en partie mis cela sur le compte du secteur d'activité qui ne m'intéressait pas, et que, de ce fait, je n'avais pas vraiment de motivation à étudier, à m'impliquer, à me projeter dans quoi que ce soit. Durant mes stages en école d'ingénieur, le sentiment de ne pas être à la hauteur, de partir d'avance perdant n'avait fait que me ralentir dans mon travail et me tirer vers le bas.
Je m'étais dit que tout cela allait s'arrêter lors de ma formation actuelle, d'une part parce que le domaine me plaisait davantage, d'autre part parce que le fait d'être resté si longtemps sans rien faire allait se révéler comme un électrochoc qui me pousserait à apprécier davantage les nouvelles opportunités qui s'offriraient à moi. C'était vrai, en un sens : les cours ne m'ont pas déplu ; pour la première fois depuis longtemps j'avais l'impression de comprendre quelque chose à ce que j'apprenais, que je pouvais un peu plus me projeter dans cet univers, que j'allais être content de travailler durant mon stage. Ce fut le cas, dans une certaine mesure ; mais très vite, les vieux travers commencèrent plus ou moins à me reprendre et je me retrouvai, pour des raisons un peu différentes, dans ce même état d'esprit que je pensais avoir réussi à quitter.
Le stage que je fais actuellement, comme je l'ai déjà dit, m'a été donné par une connaissance, ce qui fait que le besoin de ma présence reste encore à démontrer. Alors que je n'ai jamais travaillé dans ce secteur d'activité, que je n'ai jamais mis en place les choses que j'ai apprises de façon théorique au cours de ma formation, alors même que je ne suis pas vraiment encadré, je dois réaliser une mission dont les contours sont peu clairs et les enjeux incertains. Je ne suis pas vraiment lié aux autres personnes, (même s'ils sont tous sympathiques et font preuve de sollicitude à mon égard) on ne me demande rien et je dois tout créer par moi-même alors que je n'ai presque pas de documents, que je ne sens pas une vraie volonté de changer les choses. Aussi, l'enthousiasme que j'aurais pu avoir au début a-t-il rapidement été douché, et je passe le plus clair de mon temps à ne pas faire grand-chose (voire rien faire du tout), comme incapable de me motiver, attendant comme d'habitude le seuil critique pour faire un tant soit peu quelque chose. Oh, bien sûr, j'arriverai à retomber sur mes pieds, comme je le fais toujours, mais tout ceci ne contribue pas à me redonner vraiment confiance en moi, évidemment. J'ai une fois de plus, d'une certaine façon, l'impression d'être entre deux eaux, très diplômé mais étant payé le minimum, devant faire une thèse professionnelle avec un statut de stagiaire, censé apporter quelque chose à l'entreprise tout en sachant très bien que ça ne sera pas le cas, âgé de trente-et-un ans mais n'ayant jamais vraiment travaillé en entreprise, avoir des compétences censées donner un certain niveau mais donner l'impression de tâtonner et de chercher ses marques ; les deux extrêmes à la fois, tiraillé entre deux états dont aucun des deux n'est tout à fait moi…
Etant parti, pour cette mission, d'un flou total, j'en ai découvert petit à petit les contours, les possibilités, mais avec une infinie lenteur, n'arrivant pas vraiment à m'y mettre, ayant toujours peur de déranger les gens, coupable de ne pas faire grand-chose, pris au piège de cette situation où je n'ai pas vraiment de compte à rendre et donc, pas grand-chose pour me motiver. Mais, malgré tout, cette sensation bizarre que j'arriverai quand même à faire ce qu'il faut, comme toujours, sans forcément avoir de grands efforts à fournir, et sans même comprendre pourquoi.
Je me retrouve donc comme projeté en arrière, à nouveau dans cette zone étrange, que je ne connais que trop bien tout en pensant avoir pu l'oublier, du fait que les choses avaient, je pense, un peu changé.
Ce décalage, qui se ressent à nouveau ici, n'est qu'une fois de plus le résultat de quelque chose de plus vaste, qui a toujours été là, et qui explique sans doute la tonalité douce-amère et mélancolique que j'évoquais précédemment. En premier lieu, l'incommunicabilité : cette difficulté à tisser des liens avec mes semblables, qui ne le sont finalement peut-être pas tant que ça. Cette vague tristesse quand je me rends compte que, bien que pouvant inspirer la sympathie au premier abord, je me retrouve subtilement mis à l'écart – mais sans doute m'y mets-je moi-même – restant incapable de renvoyer aux autres les myriades de petits signes qui pourraient faire advenir un quelconque lien, ne sachant jamais vraiment comment me comporter, risquant de créer des malentendus sans le vouloir, et provoquant la déception de ceux qui auraient pu, à un moment donné, miser quelque chose sur moi.
Ce n'était bien sûr pas toujours le cas et, parfois, apparaît par hasard quelqu'un qui peut tout d'un coup donner l'impression d'être sur la même longueur d'onde, pouvoir comprendre ce qu'on est vraiment. Cela m'est arrivé, il y a quelques mois, avec une fille que – au moment où j'ai commencé à parler virtuellement avec elle – je n'avais jamais rencontrée. J'en parlerai plus longuement plus tard, bien sûr. « T'as l'air trop sincère, trop vrai, trop toi… » me disait-elle, sans jamais m'avoir vu. Notre nature profonde affleure toujours par moments pour qui peut le voir. Je reparlerai bien évidemment plus tard d'elle plus en détail – d'elle, de la rencontre, de ce que ça a représenté : sensations qui furent si soudaines, intenses, fulgurantes et inattendues que je n'ai toujours pas pu en comprendre la teneur exacte et qui m'obsèdent encore.
Car malgré mes difficultés à communiquer et à exprimer mes sentiments, je me sens toujours traversé, et ces derniers temps peut-être encore plus que jamais, par une sensibilité extrême qui me fait ressentir les choses de façon très intense, se répercutant sur toutes les parcelles de mon être. Non seulement les émotions primaires par rapport aux événements immédiats mais, plus encore, cette sorte de « toile de fond » dont je parlais au début, cette sensibilité qui se retrouve dans l'analyse du monde qui m'entoure, faisant ressortir dans chaque petit détail les émotions les plus fortes qui, au final, renvoient toujours aux mêmes thèmes fondamentaux : l'incommunicabilité, l'amour, les occasions manquées, le temps qui passe irrémédiablement, les regrets, les choses inavouées, la nostalgie d'un passé idéalisé, les désirs profonds qui transforment le futur en un rêve fantasmé, toutes ces choses qui se mélangeaient en une sorte de mélancolie, de rêves fous, de surgissements soudains d'un espoir de bonheur qui, l'instant d'après, peut s'évanouir aussitôt.
C'est sans doute par l'art (écriture, films, musique, etc.) que l'on peut retranscrire le mieux ces choses, sans avoir besoin de les expliciter. Je repense souvent à certains films, certains livres dans lesquels des moments particuliers sont propices à faire ressentir ces émotions à ceux qui sont capables de s'y projeter. C'est aussi pour cela que je voulais écrire, prendre cette sensibilité, cette façon d'analyser l'univers, et essayer d'en faire quelque chose, pas pour quelqu'un en particulier - pour moi avant tout - tout en espérant que, par hasard, d'autres puissent s'y reconnaître. C'est un peu comme les rencontres, on croise quelqu'un par hasard et, très vite, on peut sentir que des points communs émergent sur ce qu'on est au plus profond de soi, et à côté duquel passe la plupart des gens.
Sans doute l'impossibilité de verbaliser, de me montrer présent et vivant, de produire dans le réel un tant soit peu d'indices susceptibles de donner aux autres l'envie d'interagir plus avec moi, sans doute tout cela me pousse à vouloir exploiter un médium qui me permettrait de communiquer ma nature profonde et cette sensibilité exacerbée qui, autrement, reste enfermée à l'intérieur de moi.
Reste encore à surmonter ce sentiment d'impossibilité qui me mine, mais qui finira bien par s'en aller. Depuis le temps…
A suivre.